L’association Des Amis De Ghislaine Dupont Et Claude Verlon, Un Combat Citoyen

Le 2 novembre 2013 étaient assassinés au Mali nos confrères. Six ans plus tard, l’association Les amis de Ghislaine Dupont et Claude Verlon s’activent au quotidien pour préserver leur mémoire et aboutir à la vérité sur les circonstances de leur mort. Mais pas seulement. Entretien avec sa présidente, Danièle Gonod.PUBLICITÉ

RFI : Pourquoi cette association ?

Danièle Gonod : Après leur assassinat, nous avons tous été bouleversés. Nous nous sommes retrouvés, les amis, la famille, en nous demandant ce qu’il était possible de faire pour comprendre le pourquoi de cette tragédie. Et aussi pour se réunir tous ensemble, parce qu’on avait besoin de chaleur humaine, de se retrouver pour se soutenir face à cette épreuve.

On a alors envisagé de créer cette association en se disant qu’on avait besoin de faire un travail de mémoire pour nos deux amis, et puis qu’on avait besoin de comprendre et de faire avancer la justice pour avoir la vérité sur les conditions de cet assassinat qui a été un choc psychologique très puissant, non seulement pour les familles, mais aussi pour les amis. La violence de cette disparition était quelque chose d’inacceptable pour nous (…)

L’association s’est ensuite élargie, à tous les gens qui avaient travaillé avec Ghislaine et Claude, qui les avaient aimés ou qui, tout simplement, avaient besoin de soutenir une démarche contre l’impunité des crimes envers les journalistes. À ce titre, c’était plus une démarche citoyenne. D’une quinzaine de personnes en 2014, nous sommes aujourd’hui plusieurs centaines d’adhérents.

Quelles sont les actions entreprises au quotidien ?

Il y a deux axes. D’une part, il y a le travail de mémoire : on fait régulièrement des informations sur la page Facebook de l’association. Pour les anniversaires, on a mis en place des événements qui rappellent qui étaient nos amis : des spectacles à la Maison de la poésie à Paris, avec des artistes qui nous ont soutenus, comme Isabelle Carré, François Morel ou l’écrivaine Marie Ndiaye, et puis des danseurs, des musiciens africains qui se sont lancés dans ce projet avec nous.

Et puis les amis aussi, qui ont écrit l’an dernier un spectacle qui s’appelait « Je me souviens », où chacun d’entre nous, à travers des petites anecdotes, a rappelé le lien qu’il avait avec Ghislaine et avec Claude. Par ailleurs, on a sollicité des caricaturistes de presse qui ont dessiné pour nous. Il y a eu une exposition itinérante, « Dessiner pour ne pas tirer un trait », présentée la première fois à la Maison des journalistes, à FMM, à l’Institut français de Dakar, à la Sorbonne, puis aujourd’hui dans les locaux de l’ONU.

Lors de la conférence de presse donnée par l'association des Amis de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, le 27 octobre 2016 à la Maison des journalistes.
Lors de la conférence de presse donnée par l’association des Amis de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, le 27 octobre 2016 à la Maison des journalistes. RFI/Pierre Firtion

D’autre part, il y a la partie plus militante, parce que les conditions de l’enlèvement et cet assassinat restent troubles pour nous. Nous nous posons beaucoup de questions sur le travail d’enquête qui est mené sur leur disparition : leur enlèvement juste au moment où ont été relâchés les otages d’Arlit dans la même région du Mali pose question. Sur les conditions mêmes de leur enlèvement, il y a des problèmes d’horaires, d’intervention de telle ou telle force, etc.

On a mis assez longtemps à pouvoir avoir l’autorisation de pouvoir se porter partie civile : quand l’association a été créée, elle ne pouvait pas être reconnue comme telle. La législation a changé et depuis juin 2018, suite à la création d’un dossier, l’association a pu être reconnue comme partie civile. Nous avons pris une avocate, Marie Dosé, qui défend nos intérêts dans cette enquête et pose des questions au juge d’instruction qui est en charge de ce dossier.

L’association a-t-elle un poids réel sur la justice ?

C’est évidemment notre souhait. Nous travaillons avec les autres parties civiles. D’une part, les gens de l’association sollicitent la justice par des demandes d’actes via son avocat, d’autre part il y a beaucoup de journalistes dans notre association.

Et nous sollicitons énormément les journalistes pour qu’ils fassent un travail d’investigation, qui est un travail différent de celui de la justice, mais qui peut nous apporter des éléments importants. D’ailleurs, nous allons demander que soient versés au dossier l’émission Envoyé spécial diffusée sur France 2 il y a trois ans, l’enquête de RFI de juillet dernier et le travail fait par France Inter dans Secrets d’info en septembre.

L’association aura-t-elle toujours une raison d’être quand la lumière aura été faite sur l’assassinat de Ghislaine Dupont et Claude Verlon ?

C’est une association qui s’est créée autour de liens affectifs, c’était une gageure et nous nous retrouvons tous les mois depuis six ans, un rendez-vous mensuel auquel nous tenons beaucoup, qui nous permet de nous retrouver avec toujours des projets. Le fait qu’on sache actuellement que neuf crimes sur dix contre les journalistes restent impunis, sans enquête, sans recherche, fait que cette association vivra au-delà de la résolution des conditions de ce crime.

Malheureusement, face aux difficultés, à la mise en avant de la raison du secret d’État, nous savons bien que notre travail est un travail de longue haleine, que nous avons de nombreuses années devant nous pour nous battre, ne serait-ce que dans ce cas précis. Évidemment qu’après, on élargit à la situation de tous les journalistes.

Notre combat est un combat pour deux personnes que nous aimions, mais c’est un combat citoyen et je pense qu’il devra se poursuivre au-delà de ce cas très spécifique.

On s’est trouvé devant une situation de blocage de l’enquête et des blocages politiques qui fait que l’association a décidé de participer au Collectif Secret Défense auquel participe le fils de Ben Barka, madame Borrel la femme du magistrat assassiné à Djibouti, la fille de monsieur Boulin, qui a été assassiné, les gens du Bugaled Breizh, etc.

En fait, on s’est regroupé en association parce que nous tous, dans des cas extrêmement divers dans le temps comme dans l’espace, nous sommes retrouvés face à un mur qui est la raison d’État. Quand nous demandons des informations, on nous répond que les documents que nous demandons ne sont pas accessibles, et on nous donne des documents caviardés. L’association ne lutte donc aussi pas seulement sur le cas des journalistes, mais par rapport au problème du secret d’État et de la législation française autour de ce secret d’État.

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