Me Marie Dosé après les révélations sur le rôle de Seidane Ag Hita dans les libérations récentes de prisonniers au Mali « C’est un scandale ! »

Me Marie Dosé et Me Raffaelle Guy, avocates de l’association des Amis de Ghislaine Dupont et Claude Verlon et de Marie Solange, la mère de Ghislaine : Après les révélations sur le rôle de Sidane ag Hita, présumé commanditaire de l’enlèvement suivi de l’assassinat de Ghislaine et Claude dans les négociations récentes pour la libération d’otages contre la remise en liberté de plus de 200 prisonniers.  » Je comprends leur rage … C’est un scandale … il ne faut rien lâcher.. »

(RFI, 2 novembre 2020 https://www.rfi.fr/fr/podcasts/20201102-assassinat-g-dupont-c-verlon-kidal-rien-lacher-avocates-parties-civiles?fbclid=IwAR0RxW3DhOuQ6UaNfjw-GYjJObMSKUZfn6n-kx5keaLCXGfJBAB20U7ZauY)

Invité Afrique
Assassinat de G. Dupont et C. Verlon: «Il ne faut rien lâcher!» (avocates parties civiles)

Par :Pierre FirtionSuivre29 mn

Cela fait tout juste sept ans, aujourd’hui, que nos collègues de RFI, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, ont été assassinés à Kidal alors qu’ils étaient en reportage dans cette ville du nord du Mali. Enlevés puis assassinés dans la foulée, un acte revendiqué par AQMI, al-Qaïda au Maghreb islamique. Depuis, la justice française a chargé un juge d’instruire l’affaire. Une procédure qui avance, à pas lents. Marie Dosé et Raphaëlle Guy représentent certaines des parties civiles dans ce dossier. La première est l’avocate de l’Association des amis de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, la seconde défend Marie-Solange Poinsot, la mère de Ghislaine Dupont. Elles sont nos invitées.PUBLICITÉ

RFI : Cela fait sept ans, aujourd’hui, que Ghislaine Dupont et Claude Verlon ont été assassinés à Kidal. L’enquête de la justice française est toujours en cours. Quels sont les points qui continuent de poser question, aujourd’hui ?

Oui, l’enquête est toujours en cours, et sept ans après les faits, il y a effectivement des questions qui restent totalement irrésolues. La première d’entre elles, ce sont les raisons pour lesquelles Ghislaine et Claude ont été enlevés et pourquoi. La deuxième, c’est aussi pourquoi ce qui était à l’origine un enlèvement se transforme en assassinat. Qu’est-ce qui s’est passé ce jour-là ?

D’autres questions demeurent irrésolues. Comment les ravisseurs ont-ils pris la fuite ? Où se sont-ils cachés ? Où sont-ils maintenant ? Donc oui, à ce stade de l’information judiciaire –elle est en cours, elle continue–, et des questions doivent encore trouver réponse.

L’armée française n’avait, jusque-là, jamais évoqué la présence des forces spéciales, ce 2 novembre, à Kidal. Mais cette année, pour la première fois, un officier français a reconnu qu’elles avaient tenté de poursuivre les ravisseurs. C’est une vraie avancée, selon vous ?

Le fait que les forces spéciales étaient à Kidal, on s’en doutait. On avait des éléments dans le dossier pour le penser. Ce qui restait irrésolu et ce sur quoi l’armée ne s’était pas exprimée directement, c’est la question de savoir quel rôle avaient joué les forces spéciales, à partir du moment où Ghislaine et Claude ont été enlevés, jusqu’à la découverte de leurs corps.

Il y a une avancée très significative qui a eu lieu cette année, avec l’audition d’un militaire qui a été particulièrement courageux, parce que ce n’est pas tout à fait dans la culture de l’armée, que d’aller dans le bureau d’un juge répondre sur ce qui s’est passé dans le cadre d’une opération sur un théâtre de guerre. Et ce militaire a donné un certain nombre de précisions sur la présence des uns et des autres à ce moment-là et sur la manière dont les choses s’étaient passées. Donc de ce point de vue-là, oui, il y a eu des avancées.

Sur le point de vue du dossier, à la demande de la justice française, l’opérateur téléphonique Orange Mali a fourni au juge d’instruction de nombreuses fadettes des relevés téléphoniques d’acteurs impliqués dans l’affaire. En revanche, l’opérateur Malitel n’a toujours pas envoyé les données réclamées par le juge d’instruction.

Il s’avère que dans la précipitation, les ravisseurs ont oublié à l’intérieur du pick-up des téléphones qui sont donc des lignes Malitel. Ce qui fait que la coopération de cet opérateur de téléphonie est si précieuse dans le cadre de la découverte de la vérité.

L’opérateur Malitel a mis beaucoup de temps à répondre aux sollicitations du juge et dernièrement il a évoqué des difficultés d’ordre technique pour l’extraction et le traitement de ces données. Ce problème technique, grâce à la détermination du juge malien, d’une part, du juge français, d’autre part, et un peu d’inventivité, est sur le point d’être résolu et pourrait l’être dans les semaines et les mois à venir. Donc on attend beaucoup d’actes d’investigation qui devraient avoir lieu bientôt.

En quoi ce travail sur les relevés téléphoniques est-il si important ?

Il est absolument prépondérant, parce qu’il y a un certain nombre de soupçons qui pèsent sur des hommes, d’avoir participé à l’enlèvement et à l’assassinat de Ghislaine et Claude. Mais c’est dans les données de téléphonie qu’on trouvera des éléments de confirmation de l’implication des uns et des autres, grâce à ce téléphone oublié dans le pick-up.

Y-a-t-il d’autres sources de blocage, d’autres acteurs qui ne répondent pas, ou mal, aux sollicitations des enquêteurs ?

Les sources de blocage, elles sont étroitement liées à ce type de dossier. On est face à des magistrats instructeurs parisiens antiterroristes, qui instruisent sur des faits qui ont été perpétrés à des milliers de kilomètres de là, en zone de guerre. Avec une justice antiterroriste malienne sans moyens… il y a un magistrat qui est motivé. Et pas un peu motivé, il est très motivé, le juge malien ! Et il prend des risques à instruire ce type de dossier et à tenter de coopérer avec la France. Mais c’est très, très compliqué ! Il manque de moyens humains, il manque de moyens matériels… Et puis, surtout encore une fois, on est dans une zone où l’insécurité est prégnante. Donc les blocages viennent de là, mais ils viennent aussi –et on en a parlé tout à l’heure–, de difficultés liées à la séparation des pouvoirs.
Quand on sait, depuis le début de ce dossier, que l’armée était présente, ou en tout cas était sur place, sans tout à fait savoir exactement ce qu’ils ont fait. Il a fallu attendre sept ans pour qu’un militaire parle. Le temps c’est important. Le blocage lié au secret-défense, à un moment donné il se délie. Le temps, finalement, peut devenir un atout dans ce type de dossier. Que l’armée refuse de répondre comme elle a l’habitude de le faire, cela doit inciter les journalistes à travailler, cela doit inciter les magistrats instructeurs à ne pas fermer les portes, à en mettre certaines entre parenthèses, le temps que le temps passe, justement, pour que la manifestation de la vérité arrive à exploser, même petit à petit… Mais ce que je veux juste dire, c’est qu’on est dans le dossier typique de situation de blocage et que ce n’est qu’en étant patient que l’on arrivera à débloquer certains points.

Seidane Ag Hitta est soupçonné d’être l’un des commanditaires de l’assassinat de nos collègues. Or, c’est lui qui a récemment mené, côté jihadistes, les négociations qui ont abouti en octobre à la libération de quatre otages, libération obtenue en échange de plus de 200 combattants d’Aqmi. Maître Dosé, le fait que Seidane Ag Hitta ait joué un rôle de premier plan dans ces négociations, a visiblement choqué au sein de l’Association des Amis de Claude et Ghislaine.

Moi, j’ai été atterrée à la lecture des deux articles de vos confrères, je crois que c’est Mediapart et Jeune Afrique. Je n’y ai pas cru, dans un premier temps. Il semble que cette information ne soit pas confirmée officiellement, mais que l’on ne puisse pas dire que tout cela n’est qu’une hypothèse. C’est un scandale à proprement parler, mais inimaginable ! De toute façon tout ce qui est autour de cette opération de la libération de 200 jihadistes est scandaleux. Et je pense très franchement que les magistrats de la galerie antiterroriste sont, à mon humble avis, particulièrement choqués par la façon dont cela s’est passé. C’est encore une fois le problème de la séparation des pouvoirs.

Nous, avocats des parties civiles, avons fait coter au dossier cette information, parce qu’elle doit appartenir à cette information judiciaire, le fait que Ag Hitta ait pu, dans une opération de blanchiment – parce que ça s’appelle comme ça –, devenir finalement un interlocuteur privilégié ou pas, dans le cadre de ces négociations. C’est un scandale ! Ce terroriste, un des commanditaires de l’assassinat de Ghislaine et Claude, a pu intervenir dans une opération pareille. C’est un scandale !

La difficulté c’est que, l’acter au dossier, c’est dire « ça existe », mais comment l’exploiter judiciairement ? Comment exploiter cette information judiciairement ? Le magistrat instructeur ne peut pas aller demander aux autorités diplomatiques, aux autorités françaises, aux autorités politiques, la confirmation d’une telle information, ses tenants et aboutissants.

Donc là encore, on se retrouve –et je reviens aux blocages– sur la difficulté majeure dans ce type de dossier, qui mêle à la fois la diplomatie, la politique et le pouvoir judiciaire. Mais c’est un scandale et je vais vous dire très clairement :  c’est à vous, journalistes, là-dessus de creuser et de donner des éléments que l’on pourra exploiter ensuite judiciairement. Mais ça, il ne faut pas le laisser passer ! Si c’est véritablement établi… Mais je comprends non seulement la colère des parties civiles, mais je comprends et je partage leur rage. Voilà ce que j’ai à dire.

Ni lui, Seidane Ag Hitta, dont on parlait, ni les membres du commando qui ont enlevé, puis assassiné nos collègues, parmi lesquels le chef présume, Baye Ag Bakabo, ne font l’objet d’un mandat d’arrêt international. Comment vous l’interprétez ?

Il ne faut pas qu’ils fassent, là maintenant, à l’instant T, l’objet d’un mandat international. Pourquoi ? Parce qu’en réalité, les soupçons sur ces personnes -Ag Hitta et les autres-, ont été mis en exergue grâce à la déclassification de certaines notes d’informations. Il manque encore des éléments pour aller plus loin.

Il faut des éléments prégnants pour délivrer un mandat international. Pourquoi ? Mandat d’arrêt international veut dire procédure d’extradition. Si jamais là, par exemple, on délivre un mandat d’arrêt international contre l’un d’eux, avec le peu d’éléments qu’il y a au dossier, ce sont des éléments importants, mais ce sont malgré tout encore, des éléments insuffisants. Si on délivre un mandat d’arrêt international maintenant et qu’on lui notifie à des milliers de kilomètres d’ici, attention, les enquêteurs ne peuvent pas aller l’auditionner, recueillir ses déclarations. Seul le juge d’instruction pourra le faire à l’issue de la procédure d’extradition. Et la procédure d’extradition peut ne pas aboutir, justement, parce que des éléments auront été insuffisants pour délivrer ce mandat d’arrêt international.

Donc ce qu’il faut en fait –ça c’est de la procédure, mais c’est important de le comprendre–, c’est attendre que les indices, que les éléments à charge s’ajoutent, se cumulent et se renforcent dans le cadre d’une information judiciaire, pour ensuite délivrer un mandat d’arrêt international, et souvent à la toute fin de l’instruction, pour être certains ou en tout cas quasiment sûrs, que la procédure d’extradition, si elle était amenée à être déclenchée, pourrait aller jusqu’au bout.

Certaines pistes ont-elles été écartées depuis le début de l’enquête et a fortiori au cours de l’année écoulée ?

Dans ce type d’affaires, je ne pense pas que des pistes soient définitivement écartées. Certaines sont mises entre parenthèses. Mais chacune des hypothèses reste en tête des magistrats ou en tout cas des avocats. C’est aussi notre profession et c’est notre métier que de rester vigilants, quand, peut-être, un magistrat va un peu trop vite pour écarter telle ou telle hypothèse.

Là, en l’occurrence par exemple, on a une chronologie qui, judiciairement, se tient. On a aussi des éléments qui ne collent pas avec cette chronologie judiciaire qui se tient. Et je parle ici de l’heure à laquelle les corps ont été découverts ou de l’heure à laquelle la mort de Claude et Ghislaine a été apprise par certains. Judiciairement, cela se tient. Mais en dehors du judiciaire, il y a des difficultés, donc il va falloir le résoudre.

Petit à petit, on finira par comprendre, on finira par avoir des explications. Et si nous ne parvenons pas à avoir des explications, l’instruction doit se poursuivre. Mais c’est comme cela sur tous les pans de ce dossier. Donc encore une fois, il ne faut pas non plus aller trop vite. Je sais, parfois, qu’on a très envie d’aller vérifier tel ou tel soupçon sur tel ou tel personnage. La difficulté c’est que, si on va trop vite dans les investigations, alors qu’il n’y a pas assez d’éléments, on risque, là, de fermer une porte que l’on n’arrivera plus à ouvrir.

Il faut, à chaque fois, relire chaque procès-verbal du début jusqu’à la fin, avec en tête toutes les hypothèses, ces hypothèses mises entre parenthèse, mais jamais écartées du dossier. Parfois, notre rôle c’est de dire au juge d’instruction : « Non, on ne veut pas que cette hypothèse soit écartée du dossier ».

Une dernière question : certains acteurs nous questionnent, nous, journalistes, sur les raisons qui nous poussent à continuer à travailler sur ce double assassinat. Que leur répondriez-vous ? Est-ce que vous pensez qu’il est nécessaire que des journalistes continuent à enquêter sur cette affaire ?

Karachi, Boulin, Copernic… Vous imaginez les années, là ? Les années, ce n’est pas seulement un risque de dépérissement des preuves. C’est aussi, dans ce type de dossier, des témoins qui ont moins peur de parler, des langues qui se délient, des documents qui finalement vont être déclassifiés… Voilà.

Mais c’est aussi vous qui, non pas avez des pouvoirs d’investigation supérieurs à celui du magistrat instructeur, mais qui pouvez enquêter là où le magistrat instructeur ne peut pas enquêter. Nous avons besoin de ça. Je pense que le juge travaille, nous, les avocats, sommes là pour l’obliger parfois à travailler sur certaines choses qu’il souhaiterait voir mises entre parenthèses. Et vous, nous souhaitons que vous continuiez à nourrir ce dossier dans des registres où la justice ne peut pas aller, parce qu’il y a séparation des pouvoirs.

L’écueil à éviter vraiment, c’est de tomber dans le piège du procès de la procédure. Parce que là, on s’enlise, en fait. C’est à dire qu’il faut toujours avancer, il faut toujours investiguer judiciairement et vous, journalistiquement. Mais il y a des dossiers qui tournent en rond et qui s’enlisent parce qu’on ne fait plus que le procès de la procédure. Et du coup, on n’avance plus. On perd un temps précieux et finalement on risque aussi, à force de mettre à l’épreuve ce qui est déjà acté au dossier, de fabriquer des contre-vérités. Ça, c’est un écueil à éviter. Mais sinon, il faut continuer comme ça. Très franchement, pour être l’avocat de certains dossiers à la galerie antiterroriste, celui-ci on ne peut pas dire qu’il n’avance pas. Vraiment…

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