« Nous attendions la justice, pas la vengeance »

Dans une lettre ouverte à la ministre des armées, Florence Parly, l’Association des amis de Ghislaine Dupont et Claude Verlon regrette que l’élimination par les militaires français d’un cadre du groupe Al-Qaida au Maghreb islamique, l’un des assassins des reporters tués en 2013, empêche « la vérité d’un procès ».

Publié le 22 juin 2021 à 20h00 – Mis à jour le 23 juin 2021 à 09h25

https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/06/22/journalistes-de-rfi-tues-au-mali-nous-attendions-la-justice-pas-la-vengeance_6085255_3232.html

Tribune. Madame la Ministre, nous avons été surpris par les termes de votre annonce, ce 11 juin 2021, sur l’élimination par les militaires français de Baye Ag Bakabo, l’un des cadres du groupe Al-Qaida au Maghreb Islamique [AQMI]. Selon vous, « la neutralisation » de l’un des assassins de Ghislaine Dupont et Claude Verlon « met fin à une longue attente », depuis le drame survenu à Kidal le 2 novembre 2013. Mais nous attendions la justice, pas la vengeance.

Nous attendions la vérité d’un procès, pas l’élimination physique de ce cadre djihadiste désigné comme l’un des principaux chefs opérationnels de l’enlèvement et de l’assassinat des envoyés spéciaux de Radio France internationale à Kidal, au nord du Mali.

Depuis novembre 2013, ce nom – avec une poignée d’autres – était au centre des informations judiciaires antiterroristes diligentées en France et au Mali. Nous espérions donc, depuis longtemps, son interpellation, son extradition, sa mise en examen et sa judiciarisation en France. Pas cette élimination, qui laisse derrière elle un océan de questions sans réponse et une quête de la vérité en deuil. Cette « longue attente », nous la vivons donc intensément. Mais elle n’est pas la même que la vôtre.

Madame la Ministre, nous savons que la mort de Baye Ag Bakabo est un soulagement pour les soldats français, maliens et onusiens qui combattent au Mali. Le 5 juin, quand ce chef djihadiste a été tué, il préparait, semble-t-il, une attaque contre la base des casques bleus de la Minusma à Aguelhok, au nord du Mali.

« Seuls des interrogatoires auraient pu nous restituer la vérité sur les circonstances de la mort des nôtres »

En frappant cet individu et ses compagnons d’armes, les forces spéciales françaises ont donc sauvé sans doute des vies humaines dans les rangs de l’ONU. Nous ne sous-estimons pas la tâche écrasante des forces armées françaises. Et nous n’ignorons pas non plus la douleur des familles de tous les soldats morts au Sahel, notamment les cinquante-cinq soldats français tombés depuis le 11 janvier 2013.

Mais Madame la Ministre, comprenez que nous ne soyons pas dans une logique de guerre. Après la mort d’Abdelkrim le Touareg, le 18 mai 2015, voici venue l’élimination de Baye Ag Bakabo. Les commanditaires et les exécutants de ce double assassinat meurent les uns après les autres : vous vous en félicitez, nous le déplorons.

Nous redoutons par-dessus tout de ne jamais connaître la vérité sur les circonstances de la mort des nôtres, sur les tenants et aboutissants de leurs assassinats, mais aussi, peut-être, sur des éléments cruciaux pour nous : leurs ultimes mots, gestes et regards. Seuls des interrogatoires auraient pu nous les restituer. Ces opérations de « neutralisation » nous privent de l’essentiel.

La probabilité que ces interrogatoires puissent se tenir un jour, et plus encore la perspective d’un procès s’amenuisent d’année en année. Certes, dans chaque camp, la guerre est implacable, mais nous demeurons dans le camp de la justice, pas dans celui de la vengeance. Quels que soient notre peine et notre ressentiment, nous restons des citoyens français attachés à l’Etat de droit et au respect de ses règles. Nous ne pouvons donc nous satisfaire d’une mise à mort programmée, qui est aujourd’hui rendue effective.

Le 29 novembre 2017, au sujet des assassins de nos deux amis, Claude et Ghislaine, le président de la République, Emmanuel Macron, a affirmé avec solennité : « L’engagement de la France est entier, nous les retrouverons et ils paieront et nous éluciderons tout ce qui doit être élucidé. Je veux ici m’engager très solennellement. La France met tout en œuvre pour que toute la vérité soit faite sur cette affaire. La France met tout en œuvre pour pouvoir capturer les autres commanditaires de ces crimes. »

Aujourd’hui, nous savons qu’au moins deux protagonistes du drame de Kidal sont toujours en vie. Parmi eux, figure Sedane Ag Hita, le numéro deux du Groupe de soutien de l’islam et des musulmans, dirigé par Iyad Ag Ghali et affilié à AQMI. En octobre 2020, Sedane Ag Hita a été un interlocuteur politique de Bamako et de Paris, à l’occasion de la libération des otages Sophie Pétronin, Soumaïla Cissé, Luigi Maccalli et Nicola Chiacchio. « Capturer », « élucider »… Nous continuons d’attendre et d’espérer que l’engagement du président de la République soit honoré. Nous vous prions d’agréer, Madame la Ministre, l’expression de notre haute considération.

L’Association des Amis de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, partie civile dans l’enquête sur l’assassinat des journalistes français Ghislaine Dupont et de Claude Verlon, le 2 novembre 2013 au Mali.

Collectif

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